Sur notre site, nous parlons souvent de convivialité, de mémoire, de culture partagée. Aujourd’hui, nous souhaitons rendre hommage à une figure qui a su incarner tout cela avec brio : Bernard Pivot, disparu le 6 mai 2024 à l’âge de 89 ans.
Bernard Pivot, le gentleman des lettres à la télé
Pendant plus de 30 ans, Bernard Pivot a enchanté les écrans français avec des émissions cultes qui ont donné à la littérature une place rare à la télévision. Il a su prouver que parler de livres pouvait captiver des millions de téléspectateurs.

Ses émissions emblématiques :
- “Apostrophes” (1975–1990) : la référence absolue des émissions littéraires, où les plus grands écrivains français et étrangers se sont succédé.
- “Bouillon de culture” (1991–2001) : une version plus large, ouverte aux arts et à la société, sans jamais renier l’amour des mots.
- “Dictée de Pivot” : devenue un rendez-vous mythique pour tous les amoureux de la langue française, entre pièges orthographiques et sourires complices.
Avec son œil malicieux, ses lunettes rondes et ses questions toujours pertinentes, Bernard Pivot a su rester proche des gens tout en célébrant les auteurs.
Apostrophes, la grande messe littéraire du vendredi soir
Si on devait retenir une seule émission qui incarne Bernard Pivot, ce serait bien sûr Apostrophes. Diffusée de 1975 à 1990 sur Antenne 2 (devenue France 2), cette émission a marqué plusieurs générations de téléspectateurs, lecteurs… et écrivains eux-mêmes.
Une émission culte
Chaque vendredi soir, des millions de Français se retrouvaient pour écouter des débats passionnés autour des livres. Pivot recevait aussi bien des auteurs à succès que des penseurs controversés, dans une atmosphère à la fois sérieuse et détendue.
Une mise en scène sobre, mais intense
Pas d’effets spéciaux, pas de musique de fond : juste des fauteuils, des livres sur la table, et des questions percutantes, parfois très directes. Pivot osait tout, y compris parler de politique, de religion, de tabous… toujours à travers le prisme de la littérature.
Un rôle de passeur culturel
“Apostrophes”, c’était l’école du respect des idées, de la nuance, de la curiosité. Pivot donnait envie de lire, de réfléchir, de discuter. Beaucoup d’auteurs ont vu leurs ventes exploser après un passage sur le plateau.
L’effet Pivot : quand la littérature devient un phénomène médiatique
Si Bernard Pivot a tant marqué le paysage culturel français, c’est aussi grâce à ce qu’on appelle encore aujourd’hui “l’effet Pivot”. Cette expression désigne l’impact spectaculaire qu’un passage dans l’émission Apostrophes pouvait avoir sur la carrière d’un écrivain.
Un vrai tremplin pour les ventes
Dans les années 80, il suffisait qu’un auteur soit invité un vendredi soir sur Apostrophes pour voir ses ventes exploser dès le samedi matin. Les libraires en témoignaient : le lendemain d’une émission, ils étaient littéralement pris d’assaut par les lecteurs.
Des livres peu connus devenaient soudain des best-sellers, simplement parce que Pivot en avait parlé avec enthousiasme, ou parce qu’un débat avait suscité la curiosité.
Un pouvoir d’influence inédit
Pivot ne se contentait pas de présenter les livres : il posait les bonnes questions, relançait les auteurs, créait parfois des confrontations inattendues. Ce climat intellectuel vivant, chaleureux mais exigeant, donnait au public le sentiment de faire partie d’un club d’amateurs éclairés.
De nombreux écrivains ont reconnu qu’un passage chez Pivot avait changé leur vie :
- Yasmina Reza, alors inconnue, a vu ses pièces se vendre dans toute l’Europe après son passage.
- Françoise Sagan, déjà célèbre, y trouva un espace rare où parler de ses livres autrement que par le prisme de sa vie privée.
- des auteurs étrangers comme Salman Rushdie ou Charles Bukowski y gagnèrent une notoriété nouvelle en France.
Bernard Pivot lui-même a écrit plusieurs livres:
« Les mots de ma vie » (2011)
Un abécédaire très personnel, où Pivot raconte sa vie, ses goûts, ses souvenirs, à travers les mots qui l’ont marqué. Une manière originale de mêler autobiographie et amour de la langue.
Un peu dictionnaire, un peu confession. On y retrouve son humour, sa tendresse et sa passion pour les lettres.
« 100 mots à sauver » (2004)
Un plaidoyer ludique pour préserver certains mots en voie de disparition du français courant : « huchier », « quinaud », « mignoter »… Un vrai bijou pour les amoureux du vocabulaire.
Ce livre a été un grand succès et a contribué à redonner vie à des mots oubliés.
« Dictionnaire amoureux du vin » (2006)
Un autre de ses grands plaisirs : le vin ! Ce dictionnaire subjectif mêle souvenirs, dégustations, portraits de vignerons, anecdotes savoureuses…
Une déclaration d’amour au vin… et à la langue française.
« … mais la vie continue » (2014)
Un livre plus introspectif, où il évoque le vieillissement, la mémoire, les regrets, mais toujours avec humour et légèreté.
« Amis, chers amis » (2021)
Un de ses derniers ouvrages, où il parle de ses amitiés marquantes, entre confidences et hommages. Une lecture douce et mélancolique.
Bernard Pivot : entre grands crus et petits ponts
On connaît Bernard Pivot pour ses joutes littéraires, ses dictées piégeuses et ses plateaux feutrés. Mais derrière le maître des mots se cachait aussi un bon vivant : amateur de vin, passionné de football, amoureux de la vie dans ce qu’elle a de plus simple… et de plus populaire.
Le vin, une affaire de cœur et de langue
Originaire de la région lyonnaise, Pivot a grandi dans un commerce tenu par ses parents, au contact des clients, des rires et… des bouteilles.
Son amour du vin ne relevait pas du snobisme, mais du plaisir des arômes, des mots pour les décrire, des souvenirs qu’ils évoquent. Il en a tiré un ouvrage emblématique :
« Dictionnaire amoureux du vin » (Plon, 2006)
Où il raconte avec passion les cépages, les terroirs, les vignerons… mais aussi les verres partagés, les dégustations ratées et les belles ivresses littéraires.
« Un bon vin, c’est comme un bon livre : il faut le déguster lentement, en silence ou en bonne compagnie. »
— Bernard Pivot
Le football, entre poésie et nostalgie
Moins attendu : Bernard Pivot était un grand fan de football, en particulier de l’Olympique lyonnais. Il a souvent affirmé qu’il aurait rêvé d’être ailier droit, ou journaliste sportif, s’il n’avait pas été homme de lettres.
Il voyait dans le football une forme de théâtre populaire, avec ses drames, ses envolées, ses personnages. Il a même écrit des chroniques sur le sujet, mêlant analyse et humour.
« Le football, c’est du style. Zidane, c’était Flaubert en crampons. »
— Bernard Pivot
Un homme de lettres… et de plaisir
Ce double amour du ballon rond et du vin rappelle que Pivot était, avant tout, un homme proche des gens, qui savait mêler la culture “noble” et la culture “populaire” sans jamais les opposer.
Les obsèques de Bernard Pivot
Les parents de Bernard Pivot, Charles Pivot et Marie-Louise Dumas, étaient commerçants à Lyon. Pendant la Seconde Guerre mondiale, alors que son père était prisonnier de guerre, sa mère s’est réfugiée avec ses enfants dans la maison familiale à Quincié-en-Beaujolais, dans le Rhône.
Conformément à ses souhaits, ses obsèques ont eu lieu le 14 mai 2024 dans l’église Saint-Pierre de Quincié-en-Beaujolais, le village de son enfance. Il y repose désormais aux côtés de ses parents.
Ce village, qu’il affectionnait particulièrement, a été le théâtre de nombreux hommages, notamment une dictée organisée dans une école voisine pour saluer sa mémoire.
Ce qu’il nous laisse
Bernard Pivot n’était pas seulement un journaliste littéraire, c’était aussi un passeur. Il a transmis le goût de lire, l’amour du débat, la curiosité pour les idées. Un héritage qui parle à tous ceux qui aiment apprendre, échanger, rire… même avec une virgule mal placée !