Variétés – Claude François ou la rage de vaincre

Retour sur le destin fulgurant d’un perfectionniste prêt à tout pour réussir.

Parti de rien, sans voix ni physique, Claude François s’est hissé au sommet de la chanson française grâce à un travail acharné, une ambition dévorante et un instinct marketing génial.

De tous les chanteurs révélés au début des années 60, Claude François était sans doute celui qui avait le moins d’atouts pour réussir : ni le physique, ni la voix. Et pourtant, plus de 45 ans après sa disparition, ses tubes continuent de faire danser toutes les générations.

Claude François naît le 1er février 1939 à Ismaïlia, en Égypte, dans une famille aisée. Son père, Aimé François, est ingénieur pour la Compagnie du Canal de Suez, sa mère, Lucia Mazzei, est italienne. Il vit une enfance dorée dans une villa luxueuse, entouré de domestiques. Son père est autoritaire et pousse Claude à apprendre le violon, mais l’enfant préfère le piano et la percussion.

En 1956, la crise du canal de Suez éclate, son père perd tout du jour au lendemain, et la famille est contrainte de fuir en France sans un sou. Claude passe d’une vie de prince au bord du Nil à une existence précaire à Monaco. Son père ne s’en remettra jamais et tombera malade, plongeant la famille dans une grande détresse. Ce choc va forger son obsession de la revanche et de la réussite.

À leur arrivée à Monaco la famille François n’a plus un sou. Ils trouvent refuge à Monte-Carlo, où la mère, Lucia, doit faire des ménages pour survivre. Claude, habitué à une vie facile, découvre la pauvreté, son père, qui a tout perdu, tombe malade et meurt en 1959.

Claude commence par travailler à la Banque de l’Indochine pour subvenir aux besoins de la famille, mais ce travail l’ennuie profondément. Sa passion pour la musique le pousse rapidement à chercher des opportunités ailleurs. Il se met à la batterie, un instrument qui lui permet de trouver du travail rapidement, Il décroche des petits cachets dans les hôtels et cabarets de la Côte d’Azur.

Il rêve de chanter, mais personne ne le prend au sérieux, son physique chétif et sa voix nasillarde ne jouent pas en sa faveur, il comprend vite que pour percer, il doit se transformer. Il commence alors à travailler son apparence : il se muscle pour paraître plus solide et prend des cours de chant pour corriger sa voix. Il comprend vite que Monaco ne lui offrira pas de vraie opportunité et que tout se passe à Paris et il décide alors d’y monter en 1961 pour tenter sa chance.

Claude débarque à Paris sans contact ni argent, il enchaîne les petits contrats comme batteur et se produit dans des cabarets et des salles modestes. Il suit des cours avec des professeurs pour mieux maîtriser sa voix et son souffle. Il vit mal, enchaîne les petits cachets dans des cabarets, des galas de province, et court les auditions. Il chante dans des orchestres de bals, notamment au cabaret Le Moulin de la Galette. À ce moment-là, son accent méditerranéen, sa voix un peu nasillarde et son physique qu’il juge « ingrat » sont autant de freins pour lui.


A l’été 1962 il découvre un titre américain : « Made to Love » des Everly Brothers. Avec Vline Buggy, il en fait une adaptation française : « Belle Belle Belle » et il parvient à convaincre Philips de lui donner sa chance et d’enregistrer le titre. Il comprend que la radio a un énorme pouvoir dans l’industrie musicale, il vise donc Lucien Morisse, directeur des programmes d’Europe numéro 1 la station qui monte. Il se faufile dans les soirées et les lieux branchés que Morisse fréquente, il insiste, lui envoie des maquettes, tente par tous les moyens de le convaincre. Si bien que Lucien Morisse finalement impressionné par son ambition et son énergie décide de lui donner sa chance.

La chanson « Belle Belle Belle » est diffusée sur Europe no 1, elle est en autres le « Chouchou  de la semaine » à Salut les Copains l’émission de Daniel Filipacchi, et devient un immense succès populaire. En quelques semaines, Claude François passe de l’anonymat à la célébrité, Il signe chez Philips et lance officiellement sa carrière. Il a réussi son pari : il n’est plus un simple batteur, il est devenu une star en devenir.

Lucien Morisse va devenir son mentor , après le succès de « Belles Belles Belles », il le pousse à enchaîner les tubes. Il lui impose un rythme infernal : enregistrements, concerts, promos. Il surveille tous les aspects de sa carrière (musique, image, médias). Claude obéit sans broncher, car il sait qu’il lui doit son ascension. Europe no 1 diffuse massivement ses titres, ce qui booste ses ventes. Résultat : Claude enchaîne les succès avec « Si j’avais un marteau« , « Marche tout droit« , « Je sais« . Il commence à se mêler de tout : arrangements, choix des costumes, mise en scène. Il ne supporte pas qu’un détail lui échappe. il se montre autoritaire, colérique, exigeant la perfection. Il se teindra définitivement les cheveux en blond , surveille son poids, son bronzage, et commence à développer son obsession de l’apparence.

Mais à force d’être contrôlé par Lucien Morisse, il commence à étouffer…En 1965 Claude prend une décision radicale : Il quitte le label Philips et Lucien Morisse pour signer chez AZ. C’est une trahison pour Morisse, qui l’a lancé et protégé . Claude François doit maintenant prouver qu’il peut exister sans lui, et prendre son destin en main . Il prend le contrôle total de sa carrière, ne veut plus dépendre de personne. Il se transforme en homme d’affaires redoutable, contrôlant chaque aspect de sa carrière. Il subit une opération du nez, discret passage par la case chirurgie esthétique pour affiner son image.

Claude François montre un niveau d’exigence inédit. Il veut que tout soit millimétré, de la lumière sur scène au pli de son pantalon. Il exige de répéter encore et encore, même quand les musiciens estiment que c’est suffisant. Il veut contrôler les arrangements, les balances sonores, la couleur des rideaux, la température de la salle. Il hurle sur les musiciens pour une fausse note, Il fait pleurer des techniciens pour une lumière mal orientée. Il a imposé en 1966 les Clodettes, un concept visuel qui booste son image., il maîtrise les médias, sachant comment créer le buzz.

En 1967 il crée Flèche Productions et Podium, devenant bien plus qu’un simple chanteur : il possède un empire médiatique et musical.

Il produit et possède tous ses disques, évitant ainsi d’être sous l’autorité d’une maison de disques. Il contrôle l’enregistrement, la promotion, la distribution. Il impose un rythme de travail infernal à son équipe. Il veut maîtriser chaque détail : du son à la pochette de l’album. Flèche Productions devient une machine à tubes, avec des classiques comme « Comme d’habitude« , « Cette année-là« , « Le lundi au soleil« .

Dans les années 1975-1978, Claude François est au sommet. Il enchaîne les succès, règne sur les médias et s’ouvre à l’international. Mais derrière le strass et les paillettes, il est épuisé, rongé par son perfectionnisme et une vie sous pression. Il modernise son style : disco, costumes flamboyants, shows spectaculaires. Il rêve de percer aux États-Unis et prépare des adaptations anglaises, il rénove sa maison en Égypte, envisage un retour aux sources.

 Il semble inarrêtable… mais en coulisses, il vacille. Il souffre de crises d’angoisse, dort très peu, il se sent menacé après plusieurs attentats contre lui (groupuscules extrémistes), il multiplie les excès, alternant travail, fêtes et épuisement, Ses proches le sentent : Claude est à bout.

Le 11 mars 1978, en début d’après-midi, impatient, il décide de la changer lui-même une ampoule au dessus de la baignoire, pieds nus, alors que l’eau coule encore. Électrocution fatale, son entourage tente de le réanimer, en vain, Claude François meurt à 39 ans. C’est une véritable onde de choc, la nouvelle fait l’effet d’un séisme en France, des milliers de fans en larmes se massent devant chez lui, ses obsèques rassemblent une foule immense.

Plus de 45 ans après sa disparition, son influence est partout : reprises, documentaires, films, publicités… Son héritage ne s’est jamais éteint. Ses tubes comme « Alexandrie Alexandra », « Cette année-là », « Le lundi au soleil » sont toujours diffusés. Ses chansons sont reprises par toutes les générations, « Comme d’habitude » adapté par Frank Sinatra, a été repris par Elvis Presley, Nina Simone, Céline Dion…

Claude François reste une icône incontournable de la musique française, chapeau l’artiste !

P. Delaplace